An African miner’s hands holding pieces of mineral ore, with blurred currency notes in the background under soft daylight.
Les mains d'un mineur africain bercent un minerai — un symbole frappant de la manière dont la richesse naturelle de l'Afrique alimente les ambitions vertes mondiales, mais rarement selon ses propres conditions financières.

Qui finance la transition minière de l’Afrique et à quelles conditions ?

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Alors que le monde s'empresse de décarboner son économie, l'Afrique apparaît comme la nouvelle frontière des minéraux qui rendent possible l'économie verte. Du cobalt et du cuivre au lithium et au graphite, le continent recèle les matières premières nécessaires à l'alimentation des véhicules électriques, des panneaux solaires et des systèmes de stockage d'énergie.

Encore un nouveau Rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) publié récemment émet une note de prudence : les mêmes systèmes financiers qui ont autrefois soutenu l’extraction des combustibles fossiles façonnent désormais les contours de ce que l’on appelle le boom des minéraux verts.

En d’autres termes, l’avenir est financé, mais pas nécessairement aux conditions de l’Afrique.

La nouvelle ruée vers l'or en vert

Le rapport hébergé par le PNUE, Finance responsable des minéraux de la transition énergétique, estime que la demande en minéraux critiques quadruplera d'ici 2040 avec l'électrification des économies mondiales. Mais les flux financiers mobilisés pour répondre à cette demande révèlent des asymétries familières.

Entre 2016 et 2023, près de 70 % des investissements directs étrangers dans le secteur minier africain provenaient de financiers non africains, principalement de la Chine, de l'Union européenne et des États-Unis. La majeure partie de ces capitaux était destinée non pas à la création de valeur nationale, mais à l'extraction en amont, le plus bas maillon de la chaîne de valeur.

Le rapport prévient que si les pays africains ne restructurent pas leurs accords financiers, ils risquent de reproduire le modèle extractiviste du siècle dernier : exporter des matières premières à bas prix tout en important des technologies finies coûteuses.

En termes simples, la nouvelle ruée vers les minéraux critiques risque de devenir une rediffusion teintée de vert du vieux jeu des ressources.

Finance sans équité

Au cœur du problème réside la question de savoir qui fixe les conditions de financement. Le PNUE souligne que plus de la moitié des projets miniers africains actuels sont financés par des instruments de dette ou des accords de participation négociés en devises étrangères, principalement en dollars et en euros.

De tels accords introduisent trois vulnérabilités structurelles :

  1. Risque de change : Les monnaies locales se déprécient tandis que les obligations de remboursement restent libellées en dollars, ce qui gonfle les coûts.
  2. Fuite de revenus : Les bénéfices sont rapatriés à l’étranger via des structures de holding offshore.
  3. Distorsion des politiques : Lorsque le financement dépend de prêteurs extérieurs, les gouvernements nationaux peuvent privilégier la confiance des investisseurs plutôt que l’équité en matière de développement.

Même les prêts concessionnels ou les obligations liées au développement durable peuvent cacher des conditionnalités strictes. Il en résulte un paradoxe : l'Afrique fournit les minéraux à faible intensité de carbone du monde, mais reste enfermé dans la finance à haut risque.

Pionniers régionaux : les nouveaux architectes financiers de l'Afrique

Alors que les bailleurs de fonds multilatéraux débattent des cadres, une nouvelle génération de financiers africains passe déjà de la rhétorique à la réalité. L'Africa Finance Corporation (AFC) et Africa50, deux des investisseurs en infrastructures les plus actifs du continent, ont commencé à repositionner leurs portefeuilles vers des actifs stratégiques dans les secteurs de l'énergie et des minéraux.

En 2025, l'AFC a annoncé une “ Plateforme d'accélération des ressources durables ” dotée d'un budget de 14 milliards de livres sterling (TP4T2), ciblant la prise de participation dans les zones de traitement des minéraux, la fabrication de batteries et les exploitations minières à énergie renouvelable. Ce modèle rejette l'approche traditionnelle, lourdement endettée, au profit d'une propriété partagée et d'un financement mixte, donnant ainsi aux gouvernements africains et aux entreprises locales une voix plus forte en matière de participation.

De même, Africa50 a élargi son champ d'action, passant des routes et du transport d'électricité aux infrastructures de la chaîne de valeur, notamment les parcs industriels destinés à la transformation du lithium, du cobalt et du manganèse. Son prochain partenariat avec la Banque africaine d'import-export (Afreximbank) vise à mobiliser des fonds de pension et des capitaux souverains africains pour ces projets.

Les deux institutions partagent une philosophie commune : l’Afrique ne peut parvenir à sa souveraineté énergétique en externalisant les capitaux qui la financent. Comme l’a récemment fait remarquer un dirigeant de l’AFC :, “ Nous devons passer du statut d’emprunteurs de financements climatiques à celui de constructeurs d’actifs climatiques. ”

Ensemble, ces expériences laissent entrevoir une révolution financière silencieuse, dans laquelle le capital africain financerait la transformation de l’Afrique, en combinant partage des risques et responsabilité et en préparant le terrain pour la version propre au continent d’une économie énergétique juste.

Le coût inégal du capital vert

Le rapport du PNUE révèle également une forte inégalité de prix. Les pays africains paient souvent des taux d'intérêt deux fois supérieurs à la moyenne mondiale pour les infrastructures minières. Ce n'est pas un reflet de la géologie, mais une perception : des primes de risque intégrées aux systèmes de crédit mondiaux qui continuent de considérer les emprunteurs africains comme intrinsèquement précaires.

Ce coût gonflé du capital se traduit directement par un ralentissement de la réalisation des projets, une diminution des bénéfices pour la communauté et une réduction des marges budgétaires. Il déplace également le pouvoir de négociation vers les multinationales et les négociants en matières premières, qui peuvent lever des capitaux à moindre coût ailleurs.

Parallèlement, les partenariats public-privé présentés comme une solution reproduisent souvent la même asymétrie. Les collectivités locales assument les responsabilités environnementales et sociales, tandis que les financiers privés captent les flux de revenus.

Cette dynamique fait du terme “ partenariat ” un euphémisme poli pour désigner un partage inégal des risques.

Valeur locale ou opportunité perdue ?

Les chiffres sont édifiants. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'Afrique détient près de 30 % des réserves minérales mondiales essentielles à la transition énergétique, mais elle capte moins de 5 % de la valeur en aval.

La capacité de production de cellules de batterie et de composants solaires reste négligeable:La part de l’Afrique dans la production mondiale de batteries est inférieure à 1 %, et sa capacité d’assemblage de panneaux solaires s’élève à 2 %.

Sans interventions politiques délibérées, le continent risque de devenir la carrière du monde, fournissant les minéraux nécessaires aux voitures électriques et aux fermes solaires construites, détenues et financées ailleurs.

Repenser la “ finance responsable ”

Le rapport du PNUE appelle à une refonte fondamentale de la définition de la “ responsabilité ”. Il ne suffit pas aux financiers de divulguer leur empreinte carbone ou d'adhérer aux critères ESG si la justice économique est exclue de l'équation.

Un accord de financement ne peut pas être qualifié de durable s’il :

  • Laisse les communautés locales sans compensation ou dépossédées.
  • Enferme les pays dans la dette pour des projets dont les bénéfices sont exportés.
  • Privilégie le rendement des actionnaires plutôt que les résultats en matière de développement.

La nouvelle référence en matière de responsabilité doit être la valeur partagée, le contrôle local et la résilience future, et pas seulement la “ conformité verte ”.”

Leviers continentaux émergents

Il est encourageant de constater que plusieurs instruments régionaux convergent vers cet agenda.

  • La Vision Minière Africaine (VMA), révisée en 2025, comprend désormais des objectifs explicites pour traitement sur le continent et chaînes d'approvisionnement régionales.
  • La stratégie de l’Union africaine sur les minéraux critiques promeut des cadres harmonisés de fiscalité et de transparence pour freiner la concurrence néfaste entre les États.
  • La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) développent des corridors de valorisation transfrontaliers qui pourraient mettre en commun les infrastructures et les marchés.

Pourtant, sans réforme cohérente du financement, ces cadres risquent de rester aspirationnels. Une vision sans liquidités ne peut conduire à une transformation.

Tirer les leçons des booms passés des ressources

L'histoire offre des leçons douloureuses. Durant le supercycle des matières premières des années 2000, les revenus exceptionnels du pétrole, du cuivre et des diamants ont souvent disparu dans la dette souveraine et les crises budgétaires. Cet échec ne résidait pas seulement dans la gouvernance, mais aussi dans l'architecture financière : l'Afrique exportait des matières premières mais importait des capitaux à des conditions défavorables.

Si le même modèle régit les investissements dans les minéraux critiques, le boom vert d’aujourd’hui pourrait devenir le krach vert de demain.

Pour éviter ce résultat, les institutions financières doivent intégrer des objectifs de captation nationale, exigeant qu'une partie des bénéfices, des activités de transformation et des emplois reste dans le pays. Les pays donateurs, quant à eux, doivent remplacer les instruments fondés sur la dette par des partenariats en capital et des garanties concessionnelles.

La prochaine frontière : le financement dans la monnaie africaine

La réforme la plus transformatrice serait peut-être de financer la transition en monnaies africaines. Cela permettrait de réduire l'exposition au risque de change, de stabiliser les ratios d'endettement et d'harmoniser les incitations entre les gouvernements et les investisseurs.

L'exploration récente par la BAD d'une unité comptable adossée aux ressources minérales, utilisant les réserves vérifiées comme garantie pour les prêts en monnaie locale, représente une avancée décisive dans cette direction. Bien qu'encore conceptuelle, elle marque un tournant important : le financement de la souveraineté comme fondement de la souveraineté énergétique.

Un modèle de monnaie locale permettrait non seulement de réduire le coût du capital, mais aussi d’ancrer la responsabilité au sein des institutions africaines, et non sur les marchés obligataires offshore.

Conclusion : Financer l’avenir, ne pas répéter le passé

La course mondiale aux minéraux verts n’est pas intrinsèquement injuste, mais sa justice dépend de celui qui en écrit les règles.

Les richesses de l'Afrique en cobalt, lithium et cuivre peuvent soit financer une nouvelle ère d'industrialisation, soit enraciner un nouveau cycle de dépendance. Ce qui déterminera l'issue ne sera pas la géologie, mais la gouvernance ; non pas les réserves, mais les réformes.

Si le continent parvient à reprendre le contrôle sur la manière dont sa transition est financée, dans quelle monnaie, sous quels contrats et au bénéfice de qui, il pourra enfin transformer l’extraction en autonomisation.

Sinon, le prochain grand boom vert nous semblera étrangement familier.

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