« La transition énergétique de l’Afrique ne peut pas être financée dans une langue étrangère. »
Cette phrase est restée gravée dans ma mémoire depuis que j'ai lu le Dernier communiqué de presse de la Commission européenne annonçant 545 € millions de dollars de nouveaux financements pour la transition énergétique propre de l'Afrique.
La présidente Ursula von der Leyen a dévoilé le paquet au Global Citizen Festival, le décrivant comme « une étape importante dans le développement des énergies renouvelables en Afrique. »
C'était le genre d'annonce qui suscite des applaudissements : des chiffres importants, un discours inspirant, une promesse de progrès. Pourtant, sous cet optimisme, une vérité plus sombre demeure : la révolution énergétique propre en Afrique est encore écrite, chiffrée et financée à l'étranger.
Une promesse enveloppée dans de petits caractères
Selon la Commission européenne, le programme Team Europe de 545 millions d'euros permettra d'accroître la production d'énergie renouvelable, de renforcer les réseaux et d'étendre l'électrification rurale dans dix pays africains, de la Côte d'Ivoire et du Cameroun à la Somalie et au Mozambique.
Sur le papier, c'est une étape importante. En pratique, cela répète un vieux schéma.
L'annonce ne précise pas quelle part du fonds sera allouée sous forme de subventions ou de prêts, ni si le financement sera en euros ou en monnaie locale. Ces détails comptent plus que ne le laissent entendre les gros titres. Une subvention concessionnelle peut donner du pouvoir ; un prêt libellé en euros peut discrètement renforcer la dépendance.
Il ne s'agit pas de cynisme, mais d'expérience. Les gouvernements et les promoteurs africains acceptent depuis longtemps des prêts libellés en devises étrangères, mais voient leurs coûts augmenter avec la dépréciation des taux de change locaux. Chaque dépréciation creuse l'écart entre les sommes dues et les sommes remboursables.
Alors, quand je lis « 545 millions d’euros pour l’énergie propre », je vois à la fois une opportunité et un point d’interrogation : à quel prix et selon quelles conditions ?
Le piège monétaire que peu de gens veulent nommer
Partout sur le continent, les ministères de l’Énergie rêvent de champs solaires et de couloirs éoliens, mais l’échafaudage financier sur lequel ils reposent est d’une fragilité alarmante.
Prenons l'exemple d'un projet solaire classique au Nigeria ou au Kenya. Le financement arrive en dollars ou en euros, mais les revenus sont en nairas ou en shillings. Lorsque les devises s'affaiblissent, comme c'est souvent le cas, les remboursements de dettes explosent. Les tarifs ne peuvent pas augmenter du jour au lendemain ; les ménages paient déjà plus cher que ce que beaucoup peuvent se permettre. Les promoteurs renégocient ou font défaut.
Le Agence internationale de l'énergie Le coût du capital pour les énergies renouvelables en Afrique est deux à trois fois supérieur à celui des économies avancées, principalement en raison des risques monétaires et politiques. Le problème n'est pas la technologie, mais l'architecture de financement.
C’est le paradoxe du boom vert en Afrique : nous avons le soleil, le vent, l’ambition, mais nous payons le prix le plus élevé au monde pour l’énergie propre.
Le dilemme du donateur et l'Afrique
Le nouveau paquet européen arrive par l'intermédiaire de son Passerelle mondiale Stratégie, conçue comme un partenariat plutôt qu'une aide. Le langage a évolué, mais la structure n'a pas complètement changé.
L’argent continue de circuler du Nord vers le Sud, guidé par des priorités extérieures et protégé par une surveillance extérieure.
L'Afrique a un besoin urgent d'investissements. Mais la dépendance aux prêts libellés en euros et en dollars expose les pays à une volatilité qu'ils ne peuvent maîtriser. Rien qu'en 2024, de nombreuses monnaies africaines ont perdu entre 10 et 25 % de leur valeur face aux principales devises. Chaque point de pourcentage représente des millions de dollars supplémentaires dus au titre de la dette climatique.
C'est ce que j'appelle le prix de l'électricité:même lorsque les électrons sont verts, l'argent derrière eux reste de conception coloniale.
Des partenariats qui montrent l'écart
La même semaine que l’annonce de l’UE, Énergie durable pour tous (SEforALL) et l'Alliance africaine pour l'efficacité énergétique (AEEA) a lancé un partenariat pour promouvoir l'efficacité énergétique. C'est une initiative encourageante : économiser de l'énergie revient souvent moins cher que d'en produire.
Pourtant, là aussi, une grande partie du financement, de l'expertise et de la technologie provient de l'extérieur du continent. Le siège, les consultants et les filières de recherche du partenariat restent majoritairement européens ou américains. Les institutions africaines sont souvent des « partenaires de mise en œuvre », et non des décideurs.
Je salue ces collaborations ; elles apportent visibilité et dynamisme. Mais je reconnais aussi une vérité plus profonde : l'histoire de l'énergie propre en Afrique est encore racontée avec un accent étranger.
À quoi devrait ressembler une transition menée par l’Afrique
Si cette période doit signifier autre chose qu'une nouvelle période de dépendance bien intentionnée, l'Afrique doit construire sa propre architecture de financement de la transition. Cela commence par trois changements.
- Financement en monnaie locale. Le Banque africaine de développement et Société financière africaine Les pays africains ont commencé à explorer les émissions d'obligations en monnaie locale et les mécanismes de partage des risques. Cela devrait devenir la règle, et non l'exception. Le financement en monnaie locale protège les projets des chocs de change et ancre les rendements sur les marchés nationaux. Il témoigne également de la confiance dans la capacité des institutions africaines à garantir leur propre avenir. Dans mon précédent essai, Financement en monnaie locale : une exigence de la COP30J'ai soutenu que l'Afrique doit cesser de mettre sa souveraineté en gage pour l'aide climatique. Cette conviction est encore plus forte aujourd'hui.
- Une valeur au-delà des mégawatts. La véritable souveraineté ne réside pas seulement dans la production d'énergie propre, mais aussi dans la préservation de la valeur, la fabrication de composants, la formation des ingénieurs et le développement des chaînes d'approvisionnement. Le plan de la Commission européenne prévoit des financements pour les lignes de transport, les mini-réseaux et l'accès aux zones rurales. Il s'agit d'investissements cruciaux. Pourtant, aucun document ne s'engage à développer la production locale ou le transfert de technologie. Sans cela, l'Afrique risque de devenir le plus grand producteur d'électricité du monde. site d'installation pour les technologies fabriquées ailleurs.
- Justice communautaire et de genre : Une transition juste ne peut exister sans justice. Les projets d'électrification des villages doivent également autonomiser leurs habitants. Cela implique d'inclure les femmes et les communautés dans la planification, de garantir le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) et de lier chaque investissement aux moyens de subsistance locaux, et pas seulement aux statistiques nationales. Le partenariat SEforALL-AEEA pourrait jouer un rôle moteur dans ce domaine en intégrant des garanties sociales et la responsabilisation à chaque intervention d'efficacité énergétique.
Apprendre de l'histoire des fossiles
L'ère pétrolière de l'Afrique promettait la prospérité. Elle a engendré la dépendance.
Pendant des décennies, les combustibles fossiles ont financé les salaires, les routes et les budgets, jusqu'à la prochaine chute des prix. La récession de 2014 au Nigeria, les renflouements de l'Angola par le FMI, la crise de la dette au Mozambique… autant de symptômes de la même faiblesse structurelle : des revenus sans résilience.
Si nous reproduisons ce modèle sous une bannière verte, les résultats seront les mêmes.
Dans mon essai Baisse des revenus des combustibles fossiles : qui paie la transition de l’Afrique ?J'ai averti que la fenêtre d'opportunité pour les rentes fossiles se refermait. À moins que de nouveaux modèles budgétaires n'émergent, l'Afrique troquera sa dépendance au pétrole contre une dépendance au financement climatique.
Ce n’est pas une transition, c’est une transformation différée.
L'arithmétique de la dépendance
Considérons à nouveau les chiffres.
Les 545 millions d'euros de la Team Europe semblent colossaux. Répartis sur dix pays et des dizaines de projets, ils représentent en moyenne un peu plus de 54 millions d'euros par pays, soit à peine le coût d'une seule ferme solaire de taille moyenne.
Dans le même temps, les besoins d’investissement énergétique de l’Afrique sont estimés à 144 milliards de livres sterling par an pour atteindre les objectifs d’accès universel et de lutte contre le changement climatique.
Alors oui, l'annonce de l'Europe est importante. Mais elle n'est qu'une goutte d'eau dans un océan de financements non couverts, et rappelle que l'Afrique ne peut pas construire son avenir uniquement sur les objectifs fixés par les donateurs.
Le pouvoir de choisir
Le véritable défi n’est pas de savoir si l’Afrique va opérer sa transition – elle le doit – mais si elle le fera selon ses propres conditions.
Nous pouvons être reconnaissants du soutien de l’Europe tout en exigeant la réciprocité :
- Des subventions dont l’utilité sociale est évidente.
- Structures de monnaie locale pour les projets communautaires.
- Modèles de copropriété qui laissent derrière eux les capitaux propres, les compétences et les connaissances.
Le potentiel renouvelable du continent est immense. Mais la chaîne de valeur énergétique, financière, technique et politique doit commencer à se structurer vers l'intérieur, et non vers l'extérieur.
Une réflexion finale
Quand je pense à l’engagement de l’Europe à hauteur de 545 millions d’euros, je vois deux histoires.
L'une est une question de générosité, un continent qui tend la main à un autre. L'autre est une question de continuité, un monde qui finance encore l'Afrique en langues étrangères, sous des lois étrangères, avec des garanties étrangères.
La première histoire mérite des applaudissements. La seconde exige des comptes.
Des partenariats comme ceux-ci restent essentiels, mais leur impact sera plus fort s’ils s’appuient sur une propriété partagée et un financement ancré localement.
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Vincent Egoro est une voix africaine de premier plan en matière de transition énergétique juste, d'élimination progressive des combustibles fossiles et de gouvernance des minéraux critiques. Fort de plus de dix ans d'expérience en plaidoyer régional, il œuvre à l'intersection de la transparence, de la responsabilité et de la durabilité, promouvant des solutions communautaires qui placent l'Afrique au cœur de l'action climatique mondiale.