Au cours des dernières semaines consacrées au climat, les mots à la mode étaient partout : « capital vert », « transition juste », « débloquer le financement climatique ». Lors des tables rondes, les participants ont approuvé les milliers de milliards nécessaires pour accélérer la transition énergétique. Heureusement, un rapport récent a démenti ces arguments : Forêts et finances avait retracé le flux de capitaux « alignés sur le climat » dans des projets miniers qui ravagent les paysages africains, déracinent des communautés et mettent des vies en danger.
Dans les pays du Nord, le financement climatique est souvent présenté comme un sauveur ; ce sont ces investissements qui rendent possibles les voitures électriques, les éoliennes et les réseaux solaires. Mais dans une grande partie de l'Afrique, ces mêmes flux s'accompagnent de déplacements de population, d'exploitation et de déforestation. Cela m'a rappelé ce que j'ai observé de près dans les communautés minières : la rhétorique du « développement » peut se transformer en un prétexte pour commettre des abus en l'absence de justice.
La véritable question est donc la suivante : finançons-nous une transition juste ou subventionnons-nous une nouvelle vague d’extractivisme habillée en vert ?
L’attrait des minéraux et le coût supporté par l’Afrique
L'Afrique possède en effet les minéraux qui sous-tendent l'avenir énergétique propre du monde. Cobalt, lithium, manganèse, terres rares, etc. Sans eux, les batteries ne fonctionneraient pas, les turbines ne tourneraient pas et les réseaux ne pourraient pas stocker l'énergie renouvelable.
Mais en réalité, l'Afrique ne se contente pas de fournir des minéraux. Elle assume les coûts humains et écologiques de leur extraction, tandis que la majeure partie des profits est détournée vers d'autres régions.
Le Forêts et finances Un rapport révèle que les banques mondiales et les investisseurs institutionnels continuent d’injecter des milliards dans des entreprises dont les opérations minières en Afrique sont liées à :
- Déboisement, anéantissant la biodiversité et les écosystèmes essentiels à la résilience climatique.
- Déplacement communautaire, où des villages sont déracinés pour faire place à des fosses, des barrages à résidus et des routes d'accès.
- Abus du droit du travail, en particulier dans l’exploitation minière artisanale, où les enfants sont impliqués dans des travaux dangereux.
Il s’agit là d’une contradiction flagrante dans le financement du climat : l’argent qui permet de développer des énergies propres à l’étranger peut détruire la résilience dont l’Afrique a besoin sur son propre territoire.
Un paradoxe obsédant : propre pour le Nord, sale pour le Sud
Lorsque je discute avec des collègues dans des forums politiques, le paradoxe est presque toujours évident. « Nous décarbonons les voitures européennes sur le dos des enfants congolais » Une militante me l'a dit sans détour à Addis-Abeba. Elle n'exagérait pas.
L'extraction du cobalt en République démocratique du Congo, par exemple, répond à plus de 701 TP3T de la demande mondiale. Pourtant, des études ont documenté des cas de travail d'enfants, d'exposition à des substances toxiques et de décès dans des mines artisanales non réglementées. Pendant ce temps, les institutions financières de New York, Londres et Paris continuent de soutenir les entreprises qui dominent ces chaînes d'approvisionnement.
Le résultat est frappant : le Nord obtient des voitures et des batteries propres ; le Sud hérite de rivières empoisonnées et de communautés brisées.
Ce n'est pas un accident. C'est le résultat de systèmes financiers qui privilégient l'accès aux ressources minières au détriment des droits humains.
Quand la finance ignore la justice
Les défenseurs de ces investissements soulignent souvent que l'exploitation minière est « nécessaire ». Après tout, le monde ne peut s'électrifier sans minéraux. Mais ils admettent rarement que l'exploitation minière n'est destructrice que dans la mesure où les systèmes de gouvernance et de financement qui la rendent possible sont aussi destructeurs.
Si les financiers exigeaient des garanties environnementales solides, le consentement des communautés et des contrats équitables comme conditions préalables à leurs investissements, la situation serait différente. Mais trop souvent, la diligence raisonnable se réduit à des listes de contrôle : des exercices consistant à cocher des cases qui permettent aux fonds de circuler malgré les abus sur le terrain.
En Afrique, où les institutions de gouvernance sont déjà sous pression, cela crée un vide dangereux. Les sociétés minières soutenues par les banques internationales sont peu responsables. Les communautés n'ont aucun moyen de pression. La société civile est laissée à elle-même pour ramasser les pots cassés.
En d'autres termes, la finance n'est pas neutre. Soit elle impose la justice, soit elle subventionne l'injustice. À l’heure actuelle, une grande partie du financement climatique est consacré à cette dernière option.
Qui paie le vrai prix ?
Derrière chaque tonne de cobalt ou de lithium expédiée à l'étranger, des personnes bien réelles en assument les coûts. J'ai discuté avec des femmes dans des zones minières qui décrivent comment les rivières dont elles dépendaient autrefois pour leur agriculture sont désormais contaminées. J'ai rencontré des jeunes hommes qui ont quitté l'école pour risquer leur vie dans des mines artisanales, ne gagnant qu'une fraction de la valeur des minéraux une fois raffinés.
L’ironie est cruelle : les minéraux de l’Afrique rendent l’énergie propre abordable ailleurs, alors que l’accès à l’énergie reste hors de portée de millions de personnes sur le continent lui-même. L’injustice n’est pas seulement économique ; elle est existentielle.
Ce qui doit changer : de la folie à la justice
Pour éviter que le financement climatique ne devienne une folie, il doit être transformé. Trois changements sont urgents :
- Privilégiez les subventions et non les dettes. Trop de « capitaux verts » arrivent sous forme de prêts qui pèsent sur les gouvernements africains. L’adaptation et la résilience nécessitent des financements sous forme de subventions, et non de nouveaux pièges de la dette.
- La justice dans l'affaire. Chaque programme de financement doit intégrer de solides garanties sociales et environnementales : un consentement libre, préalable et éclairé, des politiques tenant compte des questions de genre et des mécanismes de responsabilisation applicables.
- Valeur à la maison. Au lieu de financer uniquement l'extraction, les capitaux doivent soutenir les raffineries, les usines de batteries et les industries renouvelables africaines. Les minéraux devraient stimuler le développement de l'Afrique autant que les transitions mondiales.
Il ne s’agit pas d’exigences radicales. Ce sont les conditions fondamentales d’une transition véritablement juste.
Un tournant pour l'Afrique
Le Coalition dirigée par l'UA sur les minéraux critiques et des voix comme celle de Mo Ibrahim appeler à « Libérer les richesses vertes de l'Afrique » suggèrent un changement d'ambition. L'Afrique ne se contente plus d'être une proie. Mais l'ambition doit s'accompagner de vigilance.
La société civile, les gouvernements et les partenaires doivent insister pour que les flux financiers respectent la justice. Sinon, l'Afrique se retrouvera une fois de plus confrontée au pire des deux mondes : des ressources exploitées et des économies sous-développées.
La transition vers une énergie propre devrait être l’occasion de réécrire l’histoire, et non de la répéter.
Conclusion : finance ou folie ?
En réfléchissant aux débats et aux promesses faites au cours des dernières semaines sur le climat, je reviens sans cesse à cette vérité dérangeante : la révolution de l’énergie propre ne peut pas être construite sur le dos des populations africaines dépossédées.
Si les financiers veulent prétendre accélérer une transition juste, ils doivent le prouver en Afrique, là où les minéraux sont extraits, où vivent les communautés et où les enjeux sont les plus importants. Faire moins n'est pas de la finance. C'est de la folie.
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Vincent Egoro est une voix africaine de premier plan en matière de transition énergétique juste, d'élimination progressive des combustibles fossiles et de gouvernance des minéraux critiques. Fort de plus de dix ans d'expérience en plaidoyer régional, il œuvre à l'intersection de la transparence, de la responsabilité et de la durabilité, promouvant des solutions communautaires qui placent l'Afrique au cœur de l'action climatique mondiale.