La Climate Week de New York 2025 était présentée comme une occasion d'accélérer le développement des énergies renouvelables et d'aligner la finance sur la justice climatique. Pourtant, au milieu des engagements en faveur du solaire, des tables rondes sur le financement de l'adaptation et des présentations d'investisseurs, un autre thème a émergé : le gaz naturel est de retour sur l'agenda diplomatique.
De hauts responsables américains ont ouvertement décrit le gaz comme un « énorme levier » pour la diplomatie mondiale (Axios). Anna Bjerde, de la Banque mondiale, a suggéré que si l'énergie solaire est le moteur de l'avenir de l'Afrique, le gaz « doit être discuté et poursuivi » pour combler les lacunes en matière d'accès à l'énergie (Semafor).
Pour l'Afrique, ce regain de diplomatie gazière survient à un moment critique. Les revenus des énergies fossiles sont déjà en déclin. La demande mondiale évolue. Pourtant, le continent est courtisé à la fois comme fournisseur et consommateur de gaz, ce qui accroît le risque que l'Afrique se retrouve avec des actifs bloqués, des revenus en baisse et des trous budgétaires, tandis que le reste du monde s'oriente vers la délocalisation.
Le gaz comme combustible stratégique en géopolitique
Le gaz n'est plus considéré comme une simple marchandise. C'est un outil géopolitique. Pour Washington, l'expansion des exportations de GNL vers l'Europe et l'Asie renforce les alliés, affaiblit les rivaux et renforce l'influence. Pour les exportateurs africains, cela peut apparaître comme une opportunité : les projets de GNL du Mozambique, les gisements gaziers du Nigeria et les réserves offshore du Sénégal sont tous positionnés comme des piliers de cette stratégie.
Mais le contexte est inquiétant. L'Europe a plafonné les nouveaux contrats gaziers conformément à ses objectifs de neutralité carbone. L'Asie investit massivement dans les énergies renouvelables pour réduire sa dépendance aux importations. Et les institutions mondiales, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à Carbon Tracker, préviennent que 60% de nouveaux projets gaziers pourraient être abandonnés d'ici 2040.
Ce qui pourrait être un outil diplomatique à court terme pour les grandes puissances pourrait devenir un handicap économique à long terme pour l’Afrique.
Nigéria : doubler la production de gaz
Le plan climatique actualisé du Nigéria en offre un exemple frappant. Sa contribution déterminée au niveau national (CDN) renforce le rôle du gaz fossile comme « énergie de transition », visant une capacité de production d'électricité au gaz de 17 GW d'ici 2035, soit le double des niveaux actuels.Actualités sur le climat à la maison).
Les responsables affirment que le gaz est plus propre que le charbon, fournit une énergie de base fiable et peut soutenir la croissance industrielle. Pourtant, les critiques avertissent que cette approche détourne des ressources rares des énergies renouvelables et expose le pays à la volatilité. Le Nigeria dépend déjà des revenus des énergies fossiles pour plus de 401 TP3T de ses recettes fiscales. Si la demande mondiale diminue plus rapidement que prévu, les infrastructures gazières pourraient être bloquées avant même que les dettes ne soient remboursées.
Le problème le plus profond n’est pas technique mais structurel : le gaz est présenté comme un pont, mais ce pont ne mène nulle part si aucune stratégie de sortie claire n’est définie.
Mozambique et Sénégal : les rêves de GNL mis à rude épreuve
Au-delà du Nigéria, le Mozambique et le Sénégal offrent des enseignements parallèles.
Les vastes projets de GNL du Mozambique, censés remodeler son économie, ont été retardés par l'insurrection à Cabo Delgado et l'évolution des conditions de marché. Les investisseurs restent prudents et les délais sont chaque année plus longs.
Le Sénégal, autrefois considéré comme la nouvelle frontière de l'Afrique, a vu BP se retirer d'un projet gazier phare, invoquant l'incertitude du marché. Pour Dakar, le discours sur le gaz comme moteur de croissance garanti paraît de plus en plus fragile.
Ces expériences mettent en évidence un risque central : la diplomatie du gaz crée des attentes politiques que l’économie ne garantit plus.
Le précipice fiscal de l'Afrique : les revenus des énergies fossiles en déclin
Comme détaillé dans Baisse des revenus des combustibles fossiles : qui paie la transition de l’Afrique ?Les revenus pétroliers et gaziers en Afrique sont déjà en baisse. La crise pétrolière de 2014 a plongé le Nigeria dans la récession et l'Angola dans les plans de sauvetage du FMI. Même à 1 TP4T80 le baril, la volatilité empêche les ministres des Finances de dormir.
Les revenus du gaz ne sont pas plus sûrs. Les infrastructures de GNL sont coûteuses, les marchés sont volatils et les risques de crédit sont élevés. Pour l'Afrique, s'accrocher au gaz comme bouée de sauvetage budgétaire revient à parier sur l'avenir.
Leçons comparatives : Asie et Amérique latine
D’autres régions offrent des contrastes instructifs.
- Asie: Des pays comme le Vietnam et les Philippines ont initialement adopté le GNL comme combustible de transition. Cependant, les coûts d'importation élevés, les risques de change et la baisse des prix des énergies renouvelables incitent à se tourner vers le solaire et l'éolien offshore. L'Afrique risque de répéter les mêmes erreurs, avec une résilience budgétaire moindre.
- L'Amérique latine: L'Argentine a misé sur le gaz de schiste, tandis que le Chili a misé gros sur les énergies renouvelables et l'hydrogène vert. Aujourd'hui, le Chili bénéficie de coûts énergétiques plus bas et se positionne comme exportateur net d'énergie propre. L'Afrique doit décider quel modèle suivre.
Le dilemme des actifs échoués
Le risque d'immobilisation d'actifs n'est pas hypothétique. Selon Carbon Tracker, plus de 14 milliards de livres sterling (environ 400 milliards de livres sterling) d'actifs gaziers africains risquent d'être immobilisés d'ici 2040.
La situation économique est désastreuse : les usines et les pipelines de GNL mettent des décennies à atteindre leur rentabilité. Si la demande mondiale culmine dans les années 2030, de nombreux projets africains ne parviendront pas à amortir leurs coûts. L'échec entraînera des pertes de revenus, des chocs budgétaires et un lourd endettement pour des gouvernements déjà à bout de souffle.
Cela soulève un point crucial : le gaz n’est pas un « pont » pour l’Afrique. C’est un piège déguisé en pont.
Quelles voix manquent ?
La Semaine du Climat a également révélé une autre injustice : la société civile africaine était sous-représentée. Les restrictions de visa ont empêché de nombreux militants et responsables associatifs d'entrer aux États-Unis.Actualités sur le climat à la maison).
Leur absence a réduit la portée des voix remettant en cause les récits sur les fossiles ou soulignant les impacts de l'extraction sur les communautés. À New York, le gaz était abordé comme une marchandise diplomatique, et non comme une réalité vécue par les personnes déplacées par les pipelines ou les enfants exploitant des minéraux critiques.
Ce déséquilibre révèle les enjeux : si les voix africaines restent marginalisées, le récit de la diplomatie mondiale du gaz continuera d’être écrit par d’autres.
Résistance de la société civile : de New York à Lagos
Pourtant, la résistance grandit. Durant la Semaine du Climat, les manifestations du « Sun Day » ont mobilisé des milliers de personnes à travers New York pour réclamer l'équité dans l'énergie solaire et la fin de l'expansion des énergies fossiles.Le Guardian). Des mobilisations similaires se multiplient en Afrique. En Afrique du Sud, en Ouganda et au Nigéria, des campagnes de la société civile contestent les projets d'expansion du gaz, exigent des investissements dans les énergies renouvelables décentralisées et considèrent la transition juste non pas comme une rhétorique élitiste, mais comme une question de survie communautaire.
La lutte pour le gaz n’est plus seulement une question de politique, mais aussi de justice.
Voies à suivre : ce qui doit changer
Pour éviter de devoir payer la facture des énergies fossiles, l’Afrique doit faire des choix délibérés :
- Élaborer des feuilles de route claires pour l’élimination progressive
Le gaz ne peut être transitoire que s'il existe un calendrier de sortie défini. Sans calendrier de sortie progressive, il devient une béquille indéfinie. - Donner la priorité au financement en monnaie locale des énergies renouvelables
Comme indiqué dans Financement en monnaie locale : une exigence de la COP30Les prêts concessionnels en monnaie locale sont essentiels pour mettre fin à la dépendance aux importations volatiles et à la dette coûteuse. - Investissez dans la création de valeur, pas dans les exportations
L’Afrique devrait orienter ses ressources vers l’accès à l’énergie locale, les utilisations industrielles et l’intégration des énergies renouvelables, et non vers les exportations de GNL destinées aux marchés extérieurs. - Renforcer l'inclusion de la société civile
Les barrières en matière de visas, les contraintes de financement et la répression doivent être abordées pour garantir que les voix africaines façonnent, et non pas se contentent d’observer, la diplomatie climatique mondiale. - Exiger une responsabilité mondiale
Les pays importateurs ne peuvent pas éliminer progressivement le gaz sur leur territoire tout en le promouvant à l'étranger. La justice climatique exige des engagements symétriques entre les chaînes d'approvisionnement.
Conclusion : L’Afrique à la croisée des chemins
Le regain d'intérêt pour la diplomatie gazière lors de la Semaine du climat souligne les contradictions de la politique climatique mondiale. Pour les pays riches, le gaz est un levier. Pour l'Afrique, il risque de devenir un handicap.
Si les gouvernements africains s'alignent trop sur ce discours, ils risquent de sécuriser des revenus à court terme, mais de perdre leur résilience à long terme. Le continent doit choisir : tirer profit de la baisse des rentes gazières ou saisir l'opportunité des énergies renouvelables.
Le monde n'a pas fini de parler de gaz. Mais l'Afrique ne peut se permettre d'être la dernière invitée au banquet des fossiles, obligée de régler la facture une fois que tous les autres seront rentrés chez eux.
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