Peu de phrases ont voyagé aussi vite dans le domaine de la diplomatie climatique que “ transition juste. ” Des séances plénières de la COP aux communiqués ministériels, l'idée est sur toutes les lèvres. Simple mais profonde : alors que le monde abandonne progressivement les énergies fossiles, les travailleurs, les communautés et les groupes vulnérables ne doivent pas être laissés pour compte.
Mais en Afrique, où plus de 600 millions de personnes n'ont toujours pas accès à l'électricité et où des millions d'autres dépendent directement des emplois et des revenus liés aux énergies fossiles, cette expression risque de se réduire à un slogan vide de sens. Trop souvent, la “ transition juste ” est évoquée dans les discours mais absente des budgets ; elle anime les débats mais reste lettre morte dans les communautés.
La question qui se pose à l'Afrique est urgente : la transition juste restera-t-elle de la rhétorique, ou deviendra-t-elle une réalité pour les personnes qui comptent le plus ?
Les communautés en première ligne : villes minières, deltas pétroliers et champs gaziers
Dans la région charbonnière d'Afrique du Sud, la fermeture de la centrale électrique de Komati Ce plan était censé symboliser un tournant décisif. Doté d'un budget de près d'un demi-milliard de dollars, il promettait des formations, un soutien aux petites entreprises et le déploiement de l'énergie solaire. Pourtant, trois ans plus tard, le chômage local reste obstinément élevé, les aides sociales sont inégales et le ressentiment persiste.
Dans le delta du Niger, au Nigéria, des décennies d'extraction pétrolière ont laissé derrière elles une dévastation environnementale, la pauvreté et une longue liste de promesses non tenues. Les communautés locales accueillent avec scepticisme les appels internationaux à l'abandon progressif des énergies fossiles.. Pour eux, la “ transition ” sonne comme une nouvelle vague d’abandon : d’abord par les compagnies pétrolières, puis par les gouvernements désireux de passer à autre chose sans réparer les dégâts.
Au Mozambique et en Tanzanie, les projets gaziers sont présentés par les responsables politiques comme des “ solutions essentielles au développement ”, mais redoutés par les villages voisins qui anticipent des déplacements de population sans compensation suffisante. Partout sur le continent, du pétrole offshore du Ghana aux nouvelles découvertes en Namibie, les communautés constatent un même phénomène : elles subissent les conséquences de l’extraction sans bénéficier des retombées positives de la transition.
“ Sans communauté, pas de transition. Si ce n'est pas fait uniquement pour les personnes, ce n'est pas juste du tout. ”
Les mégawatts ne sont pas synonymes de justice.
Les débats internationaux célèbrent souvent les mégawatts de centrales à charbon mises hors service ou les gigawatts d'énergie solaire installés. Mais les mégawatts ne sont pas synonymes de justice. Ils ne nourrissent pas les familles, ne remplacent pas les emplois et ne réparent pas les infrastructures défaillantes.
Pour les travailleurs du secteur charbonnier sud-africain, la seule transition qui compte est de savoir s'ils trouveront un nouvel emploi à la fermeture des mines. Pour les familles des régions pétrolières du Nigeria, la justice passe par l'accès à l'eau potable, la restauration des terres et des moyens de subsistance alternatifs. Pour les femmes des zones rurales du Kenya, c'est l'accès à une énergie fiable pour cuisiner sainement et développer de petites entreprises.
Si le succès se mesure uniquement à des critères techniques (capacité installée, émissions évitées), la justice passe au second plan. Une transition véritablement juste doit prendre en compte les emplois créés, les PME soutenues, les foyers électrifiés, l'autonomisation des femmes et le développement des communautés.
Genre et justice sociale au cœur
En Afrique, la précarité énergétique est une réalité genrée. Les femmes parcourent des kilomètres pour ramasser du bois de chauffage, respirent les fumées toxiques des lampes à pétrole et consacrent des heures chaque semaine à des travaux énergétiques non rémunérés. Pourtant, lors de l'élaboration des politiques de transition, elles sont rarement consultées.
Une transition juste doit prendre en compte ce déséquilibre. Cela devrait signifier :
- Audits de genre de tous les plans nationaux de transition énergétique.
- Guichets de financement dédiés aux entreprises d'énergies renouvelables dirigées par des femmes.
- Formation et inclusion des femmes dans les emplois verts et les postes de direction.
Autrement, la transition reproduira les mêmes inégalités dans les nouveaux secteurs. La justice sans l'égalité des sexes n'est pas la justice.
L'accès à l'énergie comme frontière de la justice
Pour 600 millions d'Africains privés d'électricité, la transition juste doit commencer par le raccordement. Dire à ces ménages que l'Afrique doit accélérer la sortie des énergies fossiles sans leur proposer d'alternatives est une injustice.
L'accès universel à l'énergie est le critère de justice le plus important. Les mini-réseaux, l'énergie solaire décentralisée, les solutions de cuisson propres et les tarifs abordables ne doivent pas être négligés ; ils doivent être au cœur de la transition. Après tout, comment une transition peut-elle être “ juste ” si près de la moitié du continent reste privée d'électricité ?
“ Aucun accord de sortie progressive n'est juste si les communautés restent dans l'ignorance. ”
La finance au service des gens
Lors des sommets mondiaux, Des milliards sont promis pour la transition énergétique de l'Afrique. Pourtant, les communautés ressentent rarement ce flux. Les fonds transitent par les ministères, les intermédiaires ou les réseaux de donateurs. Quand l'argent finit par arriver jusqu'aux populations locales, il ne reste plus grand-chose pour les projets locaux.
C’est pourquoi la société civile exige des financements qui profitent aux citoyens et pas seulement aux gouvernements. Les coopératives communautaires devraient pouvoir obtenir des subventions pour l’installation de mini-réseaux solaires. Les associations de femmes devraient bénéficier de prêts à taux préférentiels pour leurs activités liées à la cuisson propre. Les associations d’agriculteurs devraient pouvoir électrifier leurs systèmes d’irrigation.
Et surtout, le financement doit être structuré en monnaie locale, et non pas seulement en dollars et en euros. Autrement, le risque de change fait grimper les tarifs et rend l'énergie propre inaccessible. Le principe est simple : la justice financière est synonyme de justice énergétique.
Changements de politique et de gouvernance
Pour aller au-delà de la rhétorique, un changement systémique est nécessaire :
- Accords nationaux avec les collectivités. Chaque fermeture de centrale à charbon, chaque arrêt progressif de production pétrolière ou chaque transition vers le gaz devrait s'accompagner d'un accord de développement communautaire garantissant des emplois, des services et un approvisionnement local.
- Coordination régionale. L'Union africaine et des blocs comme la SADC et la CEDEAO devraient harmoniser les cadres de transition juste pour éviter une mosaïque de normes faibles.
- Transparence. Les contrats, les flux financiers et les programmes d'avantages pour la communauté doivent être transparents. Sans transparence, la “ transition juste ” risque de n'être qu'un slogan de plus pour les élites.
De la rhétorique à la réalité : le message de l'Afrique à la COP30
À l'approche de la COP30, les négociateurs africains doivent affiner le message du continent :
- Des financements pour les collectivités, pas seulement pour les États. Accès direct pour les coopératives, les groupes de femmes et les municipalités.
- Les filières d'emploi et de PME. Des objectifs mesurables en matière d'emploi et d'entreprises, liés aux plans de transition énergétique.
- L'accès à l'énergie comme indicateur de justice. Chaque opération financière devrait inclure des objectifs de connexion.
- Inclusion des genres. Des quotas et des financements dédiés aux initiatives menées par des femmes.
Les dirigeants africains doivent insister : “ Nous ne renoncerons pas à nos promesses. Nous renoncerons seulement à la justice. ”
L'essentiel
Trop longtemps, le rôle de l'Afrique dans les débats énergétiques mondiaux a été réduit à l'échelle des tonnes d'émissions évitées ou des barils de pétrole remplacés. Or, la justice ne se mesure pas en mégawatts. Elle se concrétise par des emplois, de l'électricité, des moyens de subsistance et la dignité humaine.
Le risque est évident : si la “ transition juste ” reste un simple slogan, les communautés y résisteront, s’en indigneront et la rejetteront. Mais si elle apporte des avantages concrets, un pouvoir accru au sein des foyers, des revenus plus accessibles et une égalité de participation aux décisions, alors la transition africaine sera non seulement juste, mais aussi irréversible.
“ Les mégawatts ne font pas la justice. La justice, c'est des emplois, de l'électricité et des vies. ”
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Vincent Egoro est une voix africaine de premier plan en matière de transition énergétique juste, d'élimination progressive des combustibles fossiles et de gouvernance des minéraux critiques. Fort de plus de dix ans d'expérience en plaidoyer régional, il œuvre à l'intersection de la transparence, de la responsabilité et de la durabilité, promouvant des solutions communautaires qui placent l'Afrique au cœur de l'action climatique mondiale.



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