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L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a publié son rapport Perspectives énergétiques mondiales 2025. Après avoir lu ce rapport, un chiffre m'a frappé : un milliard d'Africains cuisinent encore au bois, au charbon de bois et à la bouse de vache. En 2025, année des laboratoires de recherche pilotés par l'IA, des véhicules électriques et des missions minières lunaires, un milliard de personnes inhalent encore de la fumée pour se nourrir.
Au-delà des statistiques, c'est un scandale.
Et pourtant, le nouveau rapport de l'AIE offre à la fois espoir et humilité.
De l'espoir, car l'Afrique connaît enfin une dynamique positive en matière de politiques de cuisson propre et d'électrification.
L'humilité, car même avec le progrès, L'accès universel reste désespérément lointain..
Ce rapport est un miroir, reflétant à la fois notre potentiel et notre paralysie.
Les chiffres derrière le récit
Selon le scénario ACCESS (Accelerating Clean Cooking and Electricity Services) de l'AIE, l'Afrique pourrait atteindre l'accès universel à l'électricité d'ici 2035 et l'accès universel à des solutions de cuisson propres d'ici 2040, si le continent progresse au même rythme que les pays les plus performants en matière de réforme, comme l'électrification en Inde ou la transition vers le GPL en Indonésie.
Pour y parvenir, il faudrait :
- 80 millions de personnes bénéficient de l'électricité chaque année, presque quatre fois progrès réalisés aujourd'hui.
- 23 milliards de dollars par an pour l'électrification du réseau et hors réseau jusqu'en 2035.
- 4 milliards de dollars par an pour une cuisson propre, moins de 1% des investissements énergétiques mondiaux d'aujourd'hui.
Réfléchissez-y :
La dignité d'un continent restaurée, pour le prix d'une goutte d'eau dans l'océan de l'énergie mondiale.
Et pourtant, des milliards d'autres attendent encore.
Non pas parce que les solutions n'existent pas, mais parce que les priorités, elles, existent.
Derrière ces chiffres se cachent des histoires poignantes : une infirmière incapable de réfrigérer les vaccins ; des enfants qui fuient la fumée pour étudier dehors ; des commerçantes qui perdent leurs récoltes faute d’espaces frigorifiques. Ce fossé dépasse la simple pénurie d’énergie ; c’est un fossé qui entrave le potentiel humain.
Le changement de politique est bien réel.
Mais l'Afrique ne reste pas immobile.
L’AIE note que 50 nouvelles politiques de cuisson propre et 17 objectifs nationaux ont été mis en place depuis début 2024. Pour la première fois, la majorité des personnes n’ayant pas accès à l’énergie propre vivent désormais dans des pays dotés de stratégies actives pour réduire la fracture numérique. Ce changement est historique. Il témoigne d’une prise de conscience politique et de l’émergence d’une nouvelle génération de décideurs africains qui refusent de considérer la précarité énergétique comme une fatalité.
La Déclaration de Dar es Salaam (2025) marque un tournant. Signée par les chefs d'État africains, elle s'engage à électrifier 300 millions d'Africains d'ici 2030 et à développer l'accès à des solutions de cuisson propres à une échelle sans précédent. Il est à espérer que la COP30, actuellement en cours au Brésil, mettra en lumière l'accès à l'électricité et à des solutions de cuisson propres comme des enjeux prioritaires, une reconnaissance qui n'a que trop tardé. Toutefois, les politiques ne constituent un progrès que lorsqu'elles s'accompagnent de financements, d'infrastructures et d'une mise en œuvre effective.
Et c'est là que réside le véritable enjeu.
Le coût humain de l'attente
J'ai grandi dans un village où la fumée était omniprésente, un brouillard gris qui s'attardait dans notre cuisine, sur nos vêtements, dans nos poumons. Ma grand-mère a cuisiné au feu de bois presque toute sa vie. J'entends encore les quintes de toux qu'elle s'efforçait de réprimer, comme si le silence pouvait en atténuer la violence.
Aujourd'hui, je connais le chiffre mondial qui explique sa souffrance : 2,5 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l'air intérieur. Parmi elles, beaucoup sont des femmes et des enfants africains.
Si l'Afrique parvient à généraliser l'accès à des modes de cuisson propres d'ici 2040, le nombre de décès pourrait diminuer des deux tiers.
Il ne s'agit pas simplement d'émissions.
Il s'agit de respirer, de guérir, de survivre.
L'accès à des équipements de cuisson propres n'est pas un luxe ; c'est une mission de sauvetage.
L'électrification ne se limite pas à l'éclairage des foyers. Elle comprend également la réfrigération des médicaments, l'alimentation électrique des écoles, le soutien aux petites entreprises, la réduction de la pénibilité du travail, l'élargissement des opportunités et la garantie que l'essor démographique de l'Afrique devienne un atout plutôt qu'un désastre.
La justice oubliée de la transition énergétique
À l’échelle mondiale, le débat sur la transition énergétique s’articule autour de la réduction des émissions, des marchés du carbone, des corridors d’hydrogène et de l’avenir des énergies fossiles. Mais pour l’Afrique, la transition est plus fondamentale :
Il s'agit de passer des ténèbres à la lumière, de la fumée à la respiration, de la survie à la dignité.
L'Afrique est souvent perçue comme un simple décor passif dans les enjeux climatiques mondiaux, un lieu où les solutions sont testées, et non façonnées. Or, l'accès est au cœur de la véritable transition africaine. C'est là que l'ambition climatique rencontre les nécessités humaines, que le développement économique se conjugue à la responsabilité morale.
Le scénario ACCESS redéfinit le rôle de l'Afrique dans le débat mondial : non pas comme un cas de charité, mais comme un continent doté d'un plan clair, réalisable et transformateur pour l'accès universel.
Elle pose au monde une question simple :
Si l'accès universel est possible d'ici 2035, pourquoi n'est-il pas déjà une réalité ?
Mais le progrès a besoin de partenaires
L'élan est réel, mais insuffisant à lui seul.
Même si le secteur privé s’intéresse de plus en plus à ce sujet, l’AIE est claire : les financements publics et concessionnels restent indispensables, notamment pour les communautés rurales, les réseaux électriques fragiles et les marchés de la cuisson propre qui ne sont pas encore commercialement viables.
La transition de l'Afrique ne peut pas reposer uniquement sur le capital-risque.
Le secteur privé peut innover, mais les finances publiques doivent réduire les risques et se démocratiser.
Sans cet équilibre :
- La cuisine propre reste un argument de presse, pas un outil ménager ;
- L’électrification reste un discours politique, pas une réalité de quartier ;
- Et l'accès reste une promesse, pas une transformation.
L'Afrique ne manque pas d'ambition ; ce qui lui manque, c'est d'accompagnement.
Une réflexion morale
Je reviens souvent à un geste simple : allumer une allumette pour cuisiner.
Pour des milliards de personnes, cet acte reste un acte d'endurance, et non de facilité.
Le potentiel énergétique propre de l'Afrique ne se mesure pas en mégawatts. Il se mesure en instants.
Un enfant qui étudie pour la première fois sous une ampoule.
Une mère qui respire de l'air pur en cuisinant.
Un agriculteur qui réfrigère ses produits et double ainsi ses revenus.
Une clinique qui stocke les vaccins en toute sécurité.
Ce sont là les véritables indicateurs de progrès.
Le Perspectives énergétiques mondiales 2025 Cela nous rappelle que l'accès universel n'est pas impossible ; il est simplement négligé.
Lorsque le monde est capable de mobiliser des billions de dollars pour les puces d'IA, les centres de données, la recherche quantique et la capture du carbone, il peut certainement en trouver une fraction pour les poêles et l'énergie solaire, technologies qui redonnent de la dignité et sauvent des vies.
Réflexion finale
“ La précarité énergétique n'est pas seulement un manque de lumière ; c'est une perte de vies humaines, de temps et de potentiel. La transition ne signifiera rien tant que chaque foyer africain ne pourra pas respirer un air pur et allumer la lumière. ”
Suivre Transition énergétique en Afrique pour plus de mises à jour :
Vincent Egoro est une voix africaine de premier plan en matière de transition énergétique juste, d'élimination progressive des combustibles fossiles et de gouvernance des minéraux critiques. Fort de plus de dix ans d'expérience en plaidoyer régional, il œuvre à l'intersection de la transparence, de la responsabilité et de la durabilité, promouvant des solutions communautaires qui placent l'Afrique au cœur de l'action climatique mondiale.


