An African coastal community with gas infrastructure and local fishers in view
Une communauté côtière d’Afrique vit à l’ombre des infrastructures gazières, équilibrant le développement énergétique avec les moyens de subsistance traditionnels.

Deux poids, deux mesures ? Pourquoi l'abandon progressif du gaz en Afrique est-il critiqué ?

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Comment éliminer progressivement le gaz en Afrique alors qu'une mère de famille dans une zone rurale du Nigeria fait encore bouillir de l'eau potable au kérosène, ou qu'un centre de santé au Sénégal alimente son unique incubateur avec un générateur diesel ? Ce ne sont pas des questions abstraites. Ce sont des choix quotidiens qui façonnent la vie, la dignité et la survie de millions de personnes.

Dans un changement de politique radical, la Banque mondiale a annoncé en juin 2024 qu'elle financerait à nouveau des projets gaziers en amont dans certains pays en développement. Deux ans plus tôt, la Banque avait rejoint une coalition de donateurs multilatéraux et bilatéraux s'engageant à mettre fin au financement des combustibles fossiles. Ce revirement, présenté comme une réponse pragmatique à la précarité énergétique, a relancé un débat qui touche au cœur du dilemme du développement de l'Afrique.

Pour les organisations de la société civile du continent, le débat sur le gaz ne se limite pas aux pipelines ou aux centrales électriques. Il s'agit de souveraineté, de justice et de la capacité de l'Afrique à définir sa propre voie vers un avenir plus propre.

Entre objectifs climatiques et feux de cuisine

Les chiffres sont stupéfiants : plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité et 900 millions cuisinent encore avec du bois de chauffage, du charbon de bois ou du fumier.Pour ces communautés, le gaz n'est pas un luxe. C'est une bouée de sauvetage.

Au Nigéria, le gaz alimente tout, de la cuisine domestique aux chaudières industrielles. Au Mozambique et au Sénégal, de nouveaux projets gaziers offshore ont été présentés comme des innovations majeures au niveau national. Présidents et ministres décrivent le gaz comme la passerelle vers l'industrialisation.

Pourtant, dans les salles de conseil éloignées du delta du Niger ou de la côte de Cabo Delgado, les gouvernements donateurs et les groupes environnementaux ont fixé une limite. Le gaz, affirment-ils, est une énergie fossile comme les autres et doit être progressivement éliminé.

La Déclaration de Glasgow de 2021, à laquelle participaient le Royaume-Uni, les États-Unis et plusieurs pays de l'UE, s'engageait à mettre fin au financement public des projets d'énergies fossiles. À l'époque, les gouvernements africains n'avaient pratiquement pas été consultés. La société civile observait les pays donateurs continuer à construire de nouvelles infrastructures gazières sur leur territoire, tout en faisant pression sur les pays africains pour qu'ils abandonnent les leurs.

« L’Afrique contribue à moins de 4% des émissions mondiales, mais elle est confrontée aux exigences les plus strictes en matière de décarbonation », déclare Thuli Makama, Directeur Afrique chez Oil Change International. « Ce n'est pas une transition. C'est une politique de deux poids, deux mesures. »

Société civile : marcher sur la corde raide

La position de la société civile africaine est nuancée. Certes, la dépendance aux énergies fossiles a engendré des dommages environnementaux, des conflits et une mainmise des élites. Mais des interdictions brutales de gaz, sans alternatives propres ni soutien financier, menacent d'aggraver la pauvreté et de faire dérailler les plans nationaux.

« Je ne suis pas favorable à une expansion incontrôlée de l'industrie gazière », déclare Vincent Egoro, responsable de la région Afrique chez Publiez Ce Que Vous Payez. « Mais les trajectoires de développement ne devraient pas être dictées par des pays qui ont brûlé du charbon pendant des siècles. »

Les OSC appellent à une transition juste définie par l'Afrique. Cela implique de réduire progressivement, et non d'éliminer, le gaz dans les secteurs stratégiques, de réinvestir les revenus dans les infrastructures renouvelables et de placer les communautés au cœur de toutes les décisions.

Les réalités humaines derrière les gros titres

Dans la région d'Albertine, en Ouganda, les villageois déplacés par les projets pétroliers sont confrontés à une nouvelle inquiétude : la perte d'accès à l'eau potable et au combustible de cuisson. Les indemnisations promises couvrent rarement le coût du passage au GPL ou à l'électricité.

Dans les communautés de pêcheurs côtières du Ghana, des femmes comme Tante Ama vendent du poisson fumé au feu de bois. Leurs seules alternatives, le charbon de bois ou le gaz importé, sont soit trop chers, soit peu fiables. Pour elle, la diplomatie climatique semble lointaine et décousue.

« On parle de justice climatique dans les grands hôtels », dit-elle. « Mais qui nous parle ? Qui nous construit des cuisines propres ? »

Ces histoires humaines sont absentes de nombreuses tables rondes sur le financement climatique mondial, où l’Afrique est souvent traitée comme un monolithe.

Une banque sur la clôture

Le Directive énergétique actualisée de la Banque mondiale Il tente de marcher sur cette corde raide. Il autorise le financement du gaz en amont dans des « circonstances exceptionnelles » pour améliorer l'accès à l'énergie ou la résilience économique. Mais ses détracteurs affirment que ce flou ouvre la voie aux abus.

« Qui définit l'exceptionnel ? » demande Njoki Njehu de la Fight Inequality Alliance. « Les communautés doivent avoir leur mot à dire pour décider de leur avenir. »

Historiquement, les projets d'exploitation des ressources fossiles financés par des bailleurs de fonds internationaux ont déplacé des communautés, affaibli les écosystèmes locaux et généré des richesses pour une minorité. Sans nouvelles garanties de transparence et mécanismes de consentement, le risque de voir ces injustices se reproduire demeure élevé.

Contradictions internes

Même au sein des gouvernements africains, il n'existe pas de position unifiée. Au Mozambique, certains groupes de la société civile accueillent avec prudence l'exploitation du gaz comme source de revenus nationaux, tandis que d'autres dénoncent la militarisation des zones de projets. Au Sénégal, l'exploitation gazière offshore a été saluée comme une avancée nationale, mais les pêcheurs locaux ont constaté une baisse des prises et une atteinte à leurs moyens de subsistance.

Ces tensions reflètent celles explorées dans « Le pétrole continue de payer les factures », où la dépendance fiscale aux revenus fossiles entre en conflit avec les aspirations en matière d’énergie propre.

Au-delà du binaire : gaz ou pas gaz ?

Présenter la question comme une opposition entre le gaz et les énergies renouvelables est trompeur. La réalité énergétique de l'Afrique n'est pas binaire. Une transition énergétique juste doit être séquencée, équitable et ancrée dans les contextes économiques et culturels.

Au Kenya et en Éthiopie, les gouvernements ont donné la priorité à la géothermie, à l'hydroélectricité et à l'éolien. Au Nigéria, de nouveaux pôles solaires décentralisés alimentent des communautés hors réseau. Ces efforts doivent être intensifiés, et non relégués au second plan par des financements gaziers improvisés.

Cela reflète le dilemme plus large du financement climatique en Afrique, échanges de dettes contre des mesures climatiques aux débats sur le financement du gaz, où les compromis et le contrôle externe sont des thèmes communs.

Comme exploré dans « Qui finance la transition de l'Afrique ? », la politique de contrôle de la finance verte continue de façonner la trajectoire énergétique de l'Afrique, y compris le gaz et les énergies renouvelables.

Parallèlement, la société civile doit exiger la transparence de tous les investissements énergétiques, y compris gaziers. Les communautés doivent avoir leur mot à dire. Les projets doivent répondre aux besoins locaux. Les revenus doivent être canalisés vers la résilience, et non vers des comptes offshore.

Ce qui vient ensuite

Le débat sur l'élimination progressive du gaz à effet de serre n'est pas clos. À l'approche de la COP30, les tensions entre ambition mondiale et réalités locales ne feront que s'accentuer. Le défi n'est pas seulement technique. Il est politique, éthique et historique.

L'Afrique a besoin d'énergie, mais aussi de dignité. Cela implique de rejeter le fondamentalisme et l'hypocrisie de la finance fossile. Cela implique de construire un avenir énergétique où l'équité compte autant que les émissions.

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