Des milliards sont promis. Mais qui décide qui les recevra, et à quelles conditions ?
En Afrique, la transition énergétique est devenue plus qu'un simple débat technique. C'est une question de pouvoir, de politique et de personnes. Alors que les engagements des donateurs se multiplient et que les sommets sur le climat résonnent de promesses, les flux financiers réels restent étroitement contrôlés, régis non seulement par des chiffres, mais aussi par des institutions, des idéologies et des systèmes profondément ancrés.
Des mines de cobalt en RDC aux ambitions solaires du Sénégal, le rôle de l'Afrique dans la transition mondiale vers les énergies propres est indéniable. Pourtant, les mécanismes de financement censés soutenir cette transition accentuent souvent les déséquilibres historiques, soulevant des questions complexes d'équité, d'accès et de responsabilité.
Finance verte : la promesse et le problème
En principe, la finance verte devrait être porteuse d'espoir. Elle incarne l'engagement de la communauté internationale à investir dans les énergies renouvelables, les transports propres, l'agriculture durable et la résilience. Les grandes institutions – dont la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque africaine de développement (BAD) et les donateurs bilatéraux – détiennent les clés de ces flux de capitaux liés au climat.
Mais l’expérience vécue dans de nombreuses capitales africaines raconte une autre histoire.Accéder au financement vert est souvent comparé à un parcours labyrinthique : les formalités administratives sont interminables, les conditions rigides et les décisions prises à des milliers de kilomètres. Le discours sur les opportunités se transforme rapidement en discours sur l'exclusion.
Les gardiens du centre
Au cœur du défi réside le contrôle. Les banques multilatérales de développement et les institutions de financement climatique agissent non seulement comme des financiers, mais aussi comme des gardiens. Elles décident des critères d'éligibilité, de la structure des financements et des conditions de leur octroi.
Prenons l'exemple du Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) de l'Afrique du Sud, doté de 14 milliards de livres sterling et 8,5 milliards de livres sterling, lancé lors de la COP26 à Glasgow. célébrée mondialement comme une avancée majeure, une grande partie de l'argent est arrivé sous forme de prêts, et non de subventions, et avec un programme prédéfini, largement façonné par les pays donateurs. De nombreux acteurs locaux de la société civile n'ont appris les détails qu'une fois l'encre sèche.
Dans d'autres cas, les ministères doivent aligner leurs plans nationaux sur les attentes des donateurs pour pouvoir bénéficier d'un soutien. Ce qui devrait être un programme de développement souverain devient une affaire de négociation.
La souveraineté a un prix
Ce contrôle s'étend aux politiques. La finance verte est souvent assortie de conditions : libéralisation des marchés, réformes des subventions et modèles d'approvisionnement du secteur privé. Ces politiques ne sont pas intrinsèquement néfastes, mais elles peuvent marginaliser les services publics et les industries locales.
L'expérience du Kenya illustre cette tension. Au cours de la dernière décennie, les investissements dans les énergies propres du pays ont de plus en plus fait appel à des producteurs d'électricité indépendants (PEI) privés. Si cela a accru la capacité de production, cela a également entraîné des tarifs élevés qui pèsent sur les consommateurs. provoquant une réaction négative de la société civile et du parlement.
Lorsque les fonds mondiaux pour le climat exigent des pays qu'ils se réforment avant de pouvoir bénéficier d'un soutien, cela risque de compromettre l'appropriation nationale. Les pays africains sont contraints de peser les besoins urgents face à des conditions lointaines.
Le coût inégal du capital
Un autre obstacle silencieux réside dans le prix même du financement. Les pays africains paient régulièrement des taux d'intérêt bien plus élevés que leurs homologues européens ou asiatiques pour des projets similaires présentant un risque comparable.
La Fondation africaine pour le climat rapporte que les coûts d'emprunt des projets d'énergie renouvelable en Afrique sont jusqu'à dix fois supérieurs à ceux des pays du Nord. Cette disparité résulte moins du risque des projets que d'un biais systémique dans les évaluations de crédit mondiales.
Pour faire simple : le coût d’être africain est intégré dans le prix.
Une pièce manquante : la société civile et le leadership local
Lorsque les gouvernements rencontrent des obstacles, les organisations de la société civile sont souvent totalement exclues. Les ONG locales, les groupes de jeunes, les mouvements climatiques dirigés par des femmes et les innovateurs locaux disposent rarement des capacités administratives ou des réseaux internes nécessaires pour accéder au financement formel de la lutte contre le changement climatique.
Le soutien philanthropique est limité. En 2022, moins de 41 millions de dollars de la philanthropie climatique mondiale ont atteint l'Afrique, et seule une petite fraction de ce montant a été versée à des organisations dirigées par des Africains.
Ce déficit n'est pas seulement une question de financement, c'est aussi une question de justice. Ces groupes sont les plus proches des populations les plus touchées par les inondations, les sécheresses et les déplacements. Pourtant, leur voix est la moins entendue dans les conseils d'administration où sont décidés les financements.
Réparer le pipeline
Le système climatique mondial ne manque pas de financements. Le véritable obstacle réside dans la manière dont les finances sont gérées. Pour débloquer des financements verts pour l'Afrique, les réformes doivent aller au-delà des ajustements techniques. Ils doivent s’attaquer aux inégalités structurelles.
Voici à quoi cela pourrait ressembler :
- Passer des prêts aux subventions pour les pays les plus vulnérables et à faible revenu.
- Soutenir les modalités d’accès direct, les institutions locales et les communautés n’ont pas besoin d’intermédiaires pour accéder au financement.
- Soutenir les intermédiaires financiers africains qui comprennent les contextes locaux et peuvent réduire les risques des petits projets.
- Réformer les cadres d’évaluation des risques afin de mieux refléter le mérite des projets plutôt que les biais géographiques.
- Établir des obligations de transparence pour les bailleurs de fonds, en révélant qui reçoit l’argent et qui est systématiquement laissé pour compte.
Vers une transition centrée sur les personnes
La finance verte ne peut être une boîte noire. Pour que la transition énergétique soit juste, elle doit être transparente, inclusive et responsable. Les Africains ne doivent pas seulement être les bénéficiaires du financement climatique, ils doivent aussi en influencer la conception, la destination et les financements.
Les enjeux sont considérables. Les choix faits aujourd'hui détermineront si l'avenir énergétique de l'Afrique sera bâti au service de sa population ou en fonction des préférences de prêteurs lointains.
Conclusion : ce n’est pas seulement une question d’argent
Alors que les milliards affluent ou stagnent, l'Afrique doit se poser des questions plus complexes. Qui fixe les priorités ? Qui assume les risques ? Qui est responsable des résultats ?
Sans réponses qui mettent en avant les voix africaines, le continent risque entrer dans l'ère de l'énergie propre enchaîné aux mêmes inégalités qui ont défini l'ère des énergies fossiles.
La transition énergétique ne se résume pas à des mégawatts. C'est une question de dignité, d'autodétermination et de justice. Et cela commence par se demander non seulement qui finance la transition de l'Afrique, mais aussi qui décide de sa forme.
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