Il est facile d'appeler à la fin des énergies fossiles depuis une tribune à Paris. C'est beaucoup plus difficile quand on est à Abuja, Luanda ou Brazzaville, face à des finances publiques vides, des fonctionnaires impayés et un chômage des jeunes en plein essor.
Alors que les mobilisations mondiales pour le climat se font de plus en plus entendre, la société civile africaine se joint de plus en plus à l'appel à l'élimination progressive du pétrole, du gaz et du charbon. Cependant, une tension sourde se fait jour : de nombreux gouvernements africains restent fortement dépendants des revenus des combustibles fossiles. Pour eux, l'élimination progressive du pétrole n'est pas seulement une question de climatologie ; c'est une question de survie budgétaire.
Industrie en déclin, argent en plein essor
Pour des pays comme le Nigéria, l'Angola, l'Algérie, la Guinée équatoriale, le Congo-Brazzaville et le Soudan du Sud, les hydrocarbures représentent plus de 501 TP3T de recettes publiques. Au Nigéria, le pétrole et le gaz continuent de représenter près de 801 TP3T de recettes d'exportation. et plus de 50% de recettes publiquesCet argent permet de payer les enseignants, de construire des routes et de maintenir l’éclairage allumé, aussi faible soit-il.
La société civile s'inquiète à juste titre des actifs bloqués, de la dégradation de l'environnement et de la nécessité d'une transition juste. Mais pour les responsables du Trésor, le pétrole reste la matière première la plus rentable du pays. C'est la monnaie de leur État.
Alors, comment peut-on mettre fin aux combustibles fossiles alors qu’ils constituent encore la principale source de revenus du pays ?
Le dilemme de la dette
Les pressions budgétaires sont brutales. De nombreux pays africains croulent sous les dettes. Selon le Fonds monétaire international, 22 pays africains sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettementLa pandémie de Covid-19 a fait grimper les dépenses publiques, et les catastrophes climatiques, des inondations au Mozambique aux sécheresses au Kenya, aggravent les coûts.
Le pétrole, malgré sa volatilité, demeure un obstacle aux recettes. Couper les revenus des énergies fossiles sans alternative claire et rentable risque de provoquer des défauts de paiement, des troubles publics et un endettement accru.
Prenons l'exemple du Ghana. Ce pays a émis des obligations vertes, réduit les subventions et promis des politiques de transition. Mais ses dettes dans le secteur de l'énergie dépassent désormais 14,2 milliards de livres sterling., et a récemment fait appel au FMI pour un plan de sauvetage de 14 milliards de livres sterling (1 milliard TP43 milliards). C'est un exemple qui met en garde contre la fragilité de la glace financière.
Subventions : la politique rencontre la politique
Les subventions aux carburants compliquent encore davantage la situation. Au Nigéria, les subventions ont consommé plus de 4 000 milliards de nairas rien qu'en 2022Leur suppression est souvent considérée comme une question de bon sens budgétaire par les économistes, mais comme un suicide politique par les titulaires du pouvoir.
Lorsque le président Bola Tinubu a supprimé la subvention aux carburants au Nigéria en 2023, des manifestations ont éclaté. Les coûts des transports ont grimpé en flèche. L'inflation a grimpé en flèche. Bien que cette politique ait été saluée par des bailleurs de fonds multilatéraux comme la Banque mondiale, elle a érodé la confiance du public.
Pour de nombreux citoyens, les subventions ne sont pas seulement des distorsions économiques ; elles constituent le seul bénéfice social visible de la richesse pétrolière.
Le paradoxe de la société civile
Les organisations de la société civile africaine sont à l'avant-garde du mouvement pour la justice climatique. Elles réclament l'élimination progressive des combustibles fossiles, des réparations climatiques et des transitions justes. Mais elles réclament également une augmentation des dépenses sociales, une réduction de la dette, de meilleurs soins de santé et une éducation gratuite.
Ces revendications sont légitimes. Mais elles créent un paradoxe : comment les gouvernements peuvent-ils se permettre une politique sociale expansive tout en privant les États de leur principale source de revenus ?
Sans des voies claires pour remplacer les revenus pétroliers, la société civile risque de perdre sa crédibilité ou d’être perçue comme déconnectée des réalités budgétaires.
Finance verte : mirage ou bouée de sauvetage ?
En théorie, la finance verte et les partenariats pour une transition énergétique juste (JETP) sont censés combler ce vide. L'Afrique du Sud a obtenu un programme JETP de 14,4 milliards de livres sterling en 2021Le Sénégal et l'Égypte ont suivi. Le Nigéria et le Kenya sont les suivants.
Mais la plupart de ces programmes consistent en une combinaison de prêts, de garanties et d'assistance technique, et non en un soutien budgétaire direct. Une grande partie de ces financements est liée à des projets, à décaissement lent et conditionnel.
Pire encore, les négociateurs africains signalent que les délais des donateurs et les besoins nationaux concordent rarement. Il est impossible de financer les salaires mensuels avec un prêt concessionnel sur dix ans pour un parc solaire.
La malédiction de la dépendance aux ressources
Au cœur du problème réside l'incapacité de l'Afrique à diversifier son économie. Des décennies de dépendance au pétrole ont affaibli la politique industrielle, freiné la production locale et rendu les pays vulnérables aux chocs de prix.
La diversification économique est la solution, mais c'est un chemin long et politiquement risqué. Il nécessite des investissements, de la planification et du temps.
Des pays comme le Botswana (avec ses diamants), le Rwanda (avec ses services) et le Maroc (avec ses énergies renouvelables et son industrie manufacturière) offrent des modèles. Mais pour des géants pétroliers comme l'Angola ou le Nigeria, le changement de cap sera brutal et douloureux.
Quelle est la voie à suivre ?
Quelques impératifs s'imposent :
- Réduire progressivement, ne pas éteindreLes pays africains ont besoin de transitions progressives et assorties de délais, et non de fermetures brutales. Les politiques de sortie progressive doivent s'aligner sur les réalités budgétaires et économiques.
- Repenser intelligemment les subventions:Remplacer les subventions aux carburants par des transferts monétaires ciblés, des investissements dans les transports publics et des programmes de création d’emplois.
- Réserver les revenus des énergies fossiles à la transition:Utilisez les bénéfices pétroliers actuels pour financer les infrastructures renouvelables, l’éducation et la diversification, comme un fonds d’épargne climatique.
- Promouvoir un véritable financement climatique:La société civile et les gouvernements doivent exiger des financements basés sur des subventions, des fonds pour pertes et dommages et des échanges de dettes, et pas seulement des prêts concessionnels.
- Construire un consensus publicLes plans de transition énergétique doivent être locaux, politiquement réalistes et socialement inclusifs. Le public doit en tirer des bénéfices, et non seulement des sacrifices.
Conclusion : une conversation difficile, attendue depuis longtemps
La pression pour l'élimination progressive des combustibles fossiles ne va pas disparaître. Les déficits budgétaires de l'Afrique non plus. On ne peut pas chuchoter sur l'un tout en criant sur l'autre.
Les gouvernements africains doivent affronter une dure réalité : la manne pétrolière est une béquille, pas un remède. Mais ceux qui réclament une élimination progressive doivent aussi comprendre que la voie vers la neutralité carbone ne peut être tracée sur des estomacs vides ou des finances publiques en faillite.
Il ne s'agit pas de choisir entre le climat et le développement. Il s'agit de rendre les deux possibles, ensemble, délibérément et aux conditions de l'Afrique.
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